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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

du même crayon dont Watteau eût dessiné ses coquettes et ses jolies figures de bergers. Immense mérite malgré cela.

J’y vois de plus en plus, pour mon instruction et pour ma consolation, la confirmation de ce que Cogniet me disait l’année dernière, à propos de l’Homme dévoré par un lion[1], lorsqu’il voyait ce tableau à côté des vaches de Mlle Bonheur[2], à savoir qu’il y a dans la peinture autre chose que l’exactitude et le rendu précis d’après le modèle. J’ai éprouvé ce matin une impression analogue, mais beaucoup plus concevable, puisqu’il s’agissait d’une peinture d’un ordre tout à fait inférieur. En revenant de voir la figure de Dubufe, les peintures de mon atelier et entre autres mon triste Marc-Aurèle[3], que je me suis accoutumée dédaigner, m’ont paru des chefs-d’œuvre. À quoi tient donc l’impression ? Voici assurément : dans le dessin de Meissonier, elle était infiniment supérieure aux études d’après nature.

Fait la connaissance de Prudent[4] ; il imite beaucoup Chopin. J’en ai été fier pour mon pauvre grand homme mourant.

  1. Il est difficile de savoir exactement à quel tableau Delacroix fait ici allusion, car il fît en ces années 1847, 1848 et 1849 de nombreuses variantes de ce sujet. (Voir Catalogue Robaut, nos 1017, 1055.)
  2. Sans doute le Labourage nivernais.
  3. Marc-Aurèle mourant, exposé au Salon de 1845. La ville de Lyon acheta ce tableau à Delacroix en 1858 seulement et le paya 4,000 francs. (Voir Catalogue Robaut, no 924.) Cependant le catalogue du Musée de Lyon porte la mention : « Don du gouvernement. »
  4. Racine Gaultier, dit Prudent, pianiste et compositeur français, né en 1817, mort en 1863. Il fut un très remarquable virtuose.