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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

voir Gautier[1]. Je l’ai beaucoup remercié de son article splendide fait avant-hier, et qui m’a fait grand plaisir ; Wey[2] y était.

Il ma donné l’idée (Gautier) de faire une exposition particulière de tous ceux de mes tableaux que je pourrais réunir… Il pense que je peux faire cela, sans sentir le charlatan, et que cela rapporterait de l’argent.

— Chez M. de Morny. J’ai vu là un luxe comme je ne l’avais vu encore nulle part. Ses tableaux y font beaucoup mieux. Il a un Watteau magnifique ; j’ai été frappé de l’admirable artifice de cette peinture. La Flandre et Venise y sont réunies, mais la vue de

  1. L’article auquel Delacroix fait allusion parut dans la Presse du 1er avril 1847. Théophile Gautier s’y exprimait ainsi : « Quelle variété, quel talent toujours original et renouvelé sans cesse ; comme il est bien, sans tomber dans le détail des circonstances, l’expression et le résumé de son temps ! Comme toutes les passions, tous les rêves, toutes les fièvres qui ont agité ce siècle ont traversé sa tête et fait battre son cœur ! Personne n’a fait de la peinture plus véritablement moderne qu’Eugène Delacroix… C’est là un artiste dans la force du mot ! Il est l’égal des plus grands de ce temps-ci, et pourrait les combattre chacun dans sa spécialité. »
    Théophile Gautier avait toujours été le fidèle et l’ardent défenseur du génie de Delacroix. Il l’avait soutenu alors que tous ou presque tous l’attaquaient. Peut-être le peintre ne sut-il pas assez de gré au critique de ce que celui-ci avait fait pour lui ; plus tard ses relations avec Gautier se refroidiront ; il lui reprochera de n’être pas assez « philosophe » dans sa critique et de faire des tableaux lui-même, à propos des tableaux dont il parle. Si nous en croyons les personnes dignes de foi qui les ont connus tous deux et les ont observés dans leurs rapports, il faudrait attribuer ce refroidissement à l’horreur que Delacroix professait pour le genre bohème et débraillé, dont Théophile Gautier avait été l’un des plus illustres champions.
  2. Francis-Alphonse Wey, littérateur français, né en 1812. Comme écrivain et comme philologue, il occupa une place importante parmi les littérateurs de cette époque.