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XV
EUGÈNE DELACROIX.

esprit que cette faculté de se replier sur lui-même, de s’observer : en cela il est bien moderne et nous apparaît comme un des nôtres : « Je serais un tout autre homme, écrit-il à vingt-quatre ans, si j’avais dans le travail la tenue de certains que je connais… Fortifie-toi contre ta première impression ; conserve ton sang-froid. » Semblable par là à Stendhal, de qui Baudelaire le rapprochait, il comprend la nécessité d’une méthode, d’un ensemble de principes directeurs de la vie intellectuelle qui lui semblent la sauvegarde de toute existence vouée aux travaux de la pensée. Baudelaire le comparait à Mérimée et à Stendhal, et certes, s’il avait connu les premières années de ce Journal, il eût éprouvé cette jouissance particulière que goûte toujours un esprit inventif à constater la vérification d’une hypothèse : « L’habitude de l’ordre dans les idées est pour toi la seule route au bonheur, et pour y arriver, l’ordre dans tout le reste, même dans les choses les plus indifférentes, est nécessaire. » Cette phrase ne vous paraît-elle pas comme détachée de ces lettres intimes écrites à sa sœur dans lesquelles l’auteur de Rouge et noir faisait à cette amie ses confidences journalières, en lui donnant des conseils pour la poursuite de la vie heureuse ?

Se défiant de lui-même, Delacroix se défiait aussi des autres et prenait à leur égard des résolutions dictées par la plus sage prudence. Il avait reconnu sans doute, en en faisant l’expérience lors des enthousiasmes irréfléchis de la première jeunesse, le danger de s’abandonner à la spontanéité d’une nature trop ardente en présence de tiers qui demeureront toujours impuissants à la comprendre et n’y verront le plus souvent que bizarre excentricité.