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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

trop blanc par l’addition de tons froids, de remettre franchement les tons chauds du dessous, pour les mêler de nouveau.


— Si on considérait la vie comme un simple prêt, on serait moins exigeant.

Nous ne possédons réellement rien ; tout nous traverse, la richesse, etc.

— À qui ai-je prêté le portrait de Fielding[1] ?


— On n’est jamais long, quand on dit exactement tout ce qu’on a voulu dire. Si vous devenez concis, en supprimant un qui ou un que, mais que vous deveniez obscur ou embarrassé, quel but aurez-vous atteint ? Assurément, ce ne sera pas celui de l’art d’écrire, qui est avant tout de se faire comprendre.

Il faut toujours supposer que ce que vous avez à dire est intéressant ; car s’il n’en était pas ainsi, peu importe que vous soyez long ou concis.

Les ouvrages d’Hugo[2] ressemblent au brouillon

  1. Voir Catalogue Robaut, no 60.
  2. Le génie de Victor Hugo était peu sympathique à Delacroix. Plus loin, dans son Journal, il porte un jugement sévère, qui pourrait même paraître injuste, sur le style du poète. Victor Hugo, d’ailleurs, ne l’aimait pas davantage. Il ne pouvait supporter que l’opinion publique, qui plus tard « devait faire à Delacroix une gloire parallèle à la sienne », accouplât leurs deux noms. Il appelait ses créations féminines des grenouilles, et si l’on s’en rapporte à une très curieuse plaquette intitulée : Victor Hugo en Zélande, publiée par Charles Hugo, on y verra que le poète reconnaissait au peintre « toutes les qualités, moins une, la beauté. » La vérité est qu’ils étaient de génie trop dissemblable pour pouvoir se comprendre, et que les critiques du temps, en unissant leurs noms, commettaient une de ces grossières erreurs dont ils étaient coutumiers.