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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

La rhétorique se trouve partout : elle gâte les tableaux comme les livres. Ce qui fait la différence entre les livres des gens de lettres et ceux des hommes qui écrivent seulement parce qu’ils ont quelque chose à dire, c’est que dans ces derniers la rhétorique est absente ; elle empoisonne, au contraire, les meilleures inspirations des premiers.

À propos de cette même préface de George Sand, pourquoi ne me satisfait-elle pas ? D’abord, à cause de ce brin de rhétorique qui mêle à la chose même une manière ornée ou recherchée de l’exprimer. Peut-être, si l’auteur s’était moins occupé à faire un morceau d’éloquence et se fût davantage mis la tête dans les mains et bien en face de ses propres sentiments, il m’eût représenté une partie des miens ? J’admire ce qu’il dit, mais il ne me représente pas mes sentiments.

Autre question. N’est-ce pas le côté le plus désolant de cet ouvrage humain que cet incomplet dans l’expression des sentiments, dans l’impression qui résulte de la lecture d’un livre ? Il n’y a que la nature qui fasse des choses entières. En lisant cette préface, je me disais : Pourquoi ce point de vue, et pour-

    tain nombre d’ouvrages, fruits de ses tristes méditations et de son esprit chagrin. Obermann avait été publié pour la première fois en 1804. Une deuxième édition parut en 1833, avec une préface de Sainte-Beuve, et une troisième un peu plus tard avec une préface de George Sand, à laquelle Delacroix fait ici allusion. Voici, d’ailleurs, comment Sainte-Beuve appréciait le talent de Senancour : « C’est à la fois un psychologiste ardent, un lamentable élégiaque des douleurs humaines et un peintre magnifique de la réalité. »