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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Non, sans doute, ils ne sont pas dépourvus du charme de l’exécution, tout au contraire, mais ce n’est pas cette exécution stérile, matérielle, qui ne peut inspirer d’autre estime que celle qu’on a pour un tour de force. — Paul Véronèse — l’Antique. — C’est qu’il faut une véritable abnégation de vanité pour oser être simple, si toutefois on est de force à l’être ; la preuve, même dans les grands maîtres, c’est qu’ils commencent presque toujours par l’abus que je signale ; dans la jeunesse, où toutes leurs qualités les étouffent, ils donnent la préférence à l’enflure, à l’esprit… ils veulent briller plus que toucher, ils veulent qu’on admire l’auteur dans ses personnages ; ils se croient plats, quand ils ne sont que clairs ou touchants.

— Les auteurs modernes n’ont jamais tant parlé du duel que depuis qu’on ne se bat plus. C’est le ressort principal de leurs narrations, ils donnent à leurs héros une bravoure indomptable ; il semble que s’ils peignaient des poltrons, le lecteur aurait mauvaise idée de la vaillance de l’auteur.

Les héros de lord Byron sont tous des matamores, des espèces de mannequins, dont on chercherait en vain les types dans la nature.

Ce genre faux a produit mille imitations malheureuses.

Rien n’est plus facile cependant que d’imaginer une espèce d’être complètement idéal, que l’on décore à plaisir de toutes les qualités ou de tous les