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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

âmes se retrouvent dans votre peinture. Que fait même le suffrage des amis ? C’est tout simple qu’ils vous comprennent, ou plutôt que vous importe ? Mais c’est de vivre dans l’esprit des autres qui vous enivre. Quoi de si désolant ? me dirai-je. Tu peux ajouter une âme de plus à celles qui ont vu la nature d’une façon qui leur est propre. Ce qu’ont peint toutes les âmes est neuf par elles, et tu les peindrais encore neuves ! Ils ont peint leur âme, en peignant les choses, et ton âme te demande aussi son tour. Et pourquoi regimber contre son ordre ? Est-ce que sa demande est plus ridicule que l’envie du sommeil que te demandent tes membres, quand ils sont fatigués et toute ta physique nature ? S’ils n’ont pas fait assez pour toi, ils n’ont pas non plus fait assez pour les autres. Ceux même qui croient que tout a été dit et trouvé, te salueront comme nouveau, et fermeront encore la porte après toi. Ils diront encore que tout a été dit. De même que l’homme, dans la faiblesse de l’âge, qui croit que la nature dégénère, aussi les hommes d’un esprit vulgaire et qui n’ont rien à dire sur ce qui a déjà été dit, pensent-ils que la nature a permis à quelques-uns et seulement dans le commencement, de dire des choses nouvelles et qui frappent. Ce qu’il y avait à dire dans le temps de ces esprits immortels, frappait aussi tous les regards de leurs contemporains, et pas un grand nombre, pour cela, n’a été tenté de saisir le nouveau, de s’inscrire à la haie, pour dérobera la postérité la moisson à recueil-