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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Mais pour revenir à ma réflexion précédente, avec cette sotte manie, on fait toujours des choses dont on n’est pas entrain, et par conséquent mauvaises ; plus on en fait, plus on en trouve. À chaque instant, il me vient d’excellentes idées, et au lieu de les mettre à exécution, au moment où elles sont revêtues du charme que leur prête l’imagination dans la disposition où elle se trouve dans le moment, on se promet de le faire plus tard, mais quand ? On oublie, ou ce qui est pis, on ne trouve plus aucun intérêt à ce qui vous avait paru propre à inspirer. C’est qu’avec un esprit aussi vagabond et impossible, une fantaisie chasse l’autre plus vite que le vent ne tourne dans l’air et ne tourne la voile dans le sens contraire…, il arrive que j’ai nombre de sujets ; eh bien, qu’en faire ? Ils seront donc là en magasin à attendre froidement leur tour, et jamais l’inspiration du moment ne les animera du souffle de Prométhée ; il faudra les tirer du tiroir, quand la nécessité sera de faire un tableau ! C’est la mort du Génie… Qu’arrive-t-il ce soir ? Je suis, depuis une heure, à balancer entre Mazeppa, Don Juan, le Tasse, et tant d’autres. Je crois que ce qu’il y aurait de mieux à faire quand on veut avoir un sujet, c’est non pas d’avoir recours aux anciens, et de choisir dans le nombre, car quoi de plus bête ? Parmi les sujets que j’ai retenus, parce qu’ils m’ont paru beaux un jour, qui détermine mon choix pour l’un ou pour l’autre, maintenant que je sens même une disposition égale pour tous ? Rien que de pouvoir