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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

crois que le grand monde à voir de temps à autre, ou le monde tout simplement, est moins à redouter pour le progrès et le travail de l’esprit, quoi qu’en disent beaucoup de prétendus artistes, que leur fréquentation à eux. Le vulgaire naît à chaque instant de leur conversation ; il faut en revenir à la solitude, mais vivre sobrement comme Platon. Le moyen que l’enthousiasme se conserve sur une chose quand, à chaque instant, on est accessible à une partie ? quand on a toujours besoin de la société des autres ? Dufresne a bien raison : les choses qu’on éprouve seul avec soi sont bien plus fortes et vierges. Quel que soit le plaisir de communiquer son émotion à un ami, il y a trop de nuances à s’expliquer, bien que chacun peut-être les sente, mais à sa manière, ce qui affaiblit l’impression de chacun. Puisqu’il me conseille et que je reconnais la nécessité de voir l’atelier seul et de vivre seul, quand j’y serai établi, commençons dès maintenant à en prendre l’habitude : toutes les réformes heureuses naîtront de là. La mémoire reviendra et l’esprit présent fera place à celui d’ordre.

— Dufresne disait, à propos de Charlet, que ce n’était pas assez naïf de manière de faire : on voit l’adresse et le procédé. Y penser[1].

    d’un Arabe ». Dans la seconde partie de sa vie il eut cruellement à souffrir de lourdeurs d’estomac, et ce fut sans doute cette raison qui l’amena à modifier son hygiène : il déjeunait à peine et ne prenait qu’un fort repas, celui du soir.

  1. Il est intéressant de rapprocher cette appréciation sur Charlet formulée en 1824, de l’article que Delacroix lui consacra, après sa mort,