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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

me dise qu’on m’aime et qu’on ait en même temps des procédés pour un autre… J’ai vu Piron également ce soir-là… Je la reverrai jeudi.

Dieu ! que de choses en arrière ! Et ma petite Émilie[1]… Elle est déjà oubliée, je n’en ai pas fait mention ; j’y ai trouvé de doux moments…

C’est lundi dernier que j’avais été chez elle : ce jour, j’avais été voir Regnier[2], chez qui j’ai revu une esquisse de Constable[3] : admirable chose et incroyable !

— J’ai arrêté cette semaine une composition de Scio et presque celle du Tasse[4].

10 novembre. — « Je voudrais qu’une femme ait

  1. Émilie Robert était son modèle favori qui posa pour le torse de la femme traînée par le giaour à la queue de son cheval dans le Massacre de Scio.
  2. Peintre, camarade d’atelier de Delacroix, demeuré inconnu.
  3. L’admiration de Delacroix pour Constable se maintint égale dans tout le cours de sa carrière. Dans une très belle lettre sur l’école anglaise de peinture, adressée à Th. Silvestre, et datée de 1858, l’artiste écrivait : « Constable, homme admirable, est une des gloires anglaises. Je vous en ai déjà parlé et de l’impression qu’il m’avait produite au moment où je peignais le Massacre de Scio. Lui et Turner sont de véritables réformateurs. Ils sont sortis de l’ornière des paysagistes anciens. Notre école, qui abonde maintenant en hommes de talent dans ce genre, a grandement profité de leur exemple. Géricault était revenu tout étourdi de l’un des grands paysages qu’il nous a envoyés. » (Corresp., t. II, p. 193.)
  4. Le Journal marque suffisamment l’intérêt qu’il prenait à cette composition du Tasse. Dès 1819 il écrivait à Pierret : « N’est-ce pas que cette vie du Tasse est bien intéressante ? Que cet homme a dû être malheureux ! Qu’on est rempli d’indignation contre ces indignes protecteurs qui l’opprimaient sous le prétexte de le garantir contre ses ennemis, et qui le privaient de ses chers manuscrits !… On pleure sur lui. On s’agite sur sa chaise en lisant cette vie : les yeux deviennent menaçants, les dents se serrent de colère ! » (Corresp., t. I, p. 42.)
    Voir le Catalogue Robaut, no 88.