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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

gnante. Malheureux ! Et si je prenais pour une femme une véritable passion ! Mon lâche cœur n’ose préférer la paix d’une âme indifférente à l’agitation délicieuse et déchirante d’une passion orageuse. La fuite est le seul remède. Mais on se persuade toujours qu’il sera temps de fuir, et l’on serait au désespoir de fuir, même son malheur.

— J’ai été le soir avec Pierret retoucher un tableau de famille que le pauvre père Petit finissait en mourant. J’ai éprouvé un sentiment pénible au milieu de ce modeste asile d’un pauvre vieux peintre qui ne fut pas sans talent et à la vue de ce malheureux ouvrage de sa vieillesse languissante.

— Je me suis décidé à faire pour le Salon des scènes du Massacre de Scio[1].

Lundi 9 juin. — Pourquoi ne pas profiter des contrepoisons de la civilisation, les bons livres ? Ils

  1. Ici apparaît pour la première fois l’idée de ce tableau, il fut exposé au Salon de 1824, acheté par l’État 6,000 francs ; il reparut à l’Exposition universelle de 1855. Il appartient maintenant au Musée du Louvre.
    Le tableau était déjà achevé et déposé au Louvre, où se faisaient alors les Expositions annuelles de peinture, quand Delacroix vit des paysages de Constable qui le frappèrent ; en quelques jours il reprit son tableau et le transforma complètement. En 1847, il rappelle, dans son Journal, l’influence qu’a eue sur lui le paysagiste anglais. « Constable dit que la supériorité du vert de ses prairies tient à ce qu’il est un composé d’une multitude de verts différents. Ce qui donne le défaut d’intensité et de vie à la verdure du commun des paysagistes, c’est qu’ils la font d’une teinte uniforme. Ce qu’il dit ici du vert des prairies peut s’appliquer à tous les autres tons. »
    On dit qu’en 1847 Delacroix retoucha à nouveau son tableau, prétendant que les tons avaient poussé au jaune. (Voir le Catalogue Robaut.)