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DE LA
LECTURE DES ROMANS.


En donnant mes soins à cette nouvelle édition des romans, nouvelles et récits, que j’ai déjà offerts au public, d’anciennes questions se sont souvent représentées à mon esprit, et je me demandais s’il serait possible de mettre un frein à la fureur que l’on a de lire des romans ; si l’effet de ces livres est aussi puissant et aussi fâcheux qu’on le dit ; si, par sa nature, ce genre de composition a une action nécessairement immorale et pernicieuse ; et enfin jusqu’à quel point il est raisonnable d’en tolérer la lecture.

Comme conseiller spirituel ou comme père de famille, nul doute que l’on ne proscrivît rigoureusement les romans ainsi que les pièces de théâtre. Mais ces arrêts sévères, ces résolutions absolues, rencontrent d’inévitables obstacles dans la pratique de la vie telle qu’elle est faite depuis huit cents ans en Europe ; c’est-à-dire au milieu de générations successives qui n’ont pu exister sans l’excitation simultanée des croisades et de la lecture des contes fort libres des trouvères, de romans de chevalerie assez scabreux, et d’une foule de chansons peu édifiantes ; au milieu d’un monde faisant de saints pèlerinages, bâtissant comme par enchantement des forêts d’églises, et qui, aux offices divins, se plaisait à entendre des musiques lascives sur des paroles qui ne l’étaient quelquefois pas moins, et dont personne cependant, pas même le clergé, n’eut l’idée de faire cesser le scandale pendant plus de deux siècles qu’il a duré.

Sans m’arrêter aux fêtes des fous et des innocents ; sans rien dire du goût que l’on avait de danser dans les églises, dans les cloîtres ou les cimetières, et passant rapidement sur les mystères et les représentations de drames pieux qui se combinèrent jusqu’au seizième siècle, dans les lieux