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HÉLIKA.

Trois-Rivières pour assister au service funèbre du malheureux Attenousse. Ce concours l’accompagna même tête découverte jusqu’à sa dernière demeure. Toutes les figures portaient l’empreinte de la tristesse et de la pitié. Parfois aussi un sanglot mal étouffé se faisait entendre.

La cérémonie terminée, un officier vint me remettre un papier couvert de la signature du gouverneur par lequel il m’invitait à passer chez lui. Il avait entendu raconter tout ce qui était arrivé depuis la veille. On lui avait aussi redit dans les plus minutieux détails la scène aux pieds de l’échafaud et les déclarations des jurés, il en était profondément affecté. Il se reprochait amèrement de ne m’avoir pas donné audience la veille. Il s’accusait même d’être coupable de la mort de mon malheureux ami en ayant trop tardé à envoyer le sursis, mais il pensait que l’exécution n’aurait lieu qu’à sept heures. Il m’offrit ensuite comme compensation une forte somme d’argent pour qu’elle fût remise à la famille du supplicié. Je la refusai en leur nom de la manière la plus péremptoire et lui dis avec amertume en découvrant ma poitrine, que si les blessures dont j’étais couvert et le sang que j’avais versé pour la patrie n’avaient pas même pu me procurer une audience de quelques instants pour sauver un innocent, du moins ils pourraient servir à leur assurer le bien-être et le confort matériel, puisque j’avais amassé des sommes considérables que je leur destinais.

Là-dessus je pris congé de lui après qu’il m’eût assuré que par un édit qu’il allait publier, il proclamerait l’innocence d’Attenousse.


    nients qu’on rencontre dans l’institution du Juré sont plus grands encore. En effet, si vous avez une cause d’une légère importance pour une affaire pécuniaire vous allez la confier à un avocat qui jouit de la plus haute considération et dont la science et le jugement sont parfaitement reconnus ; mais s’il s’agit d’une question de vie et de mort vous êtes obligé de vous en rapporter au jugement d’hommes avec des préjugés quelquefois et, de plus, souvent dénués du plus gros bon sens. Joignez à cela l’esprit de nationalité, les traductions imparfaites au corps de juré, des témoignages rendus dans des langues qu’ils ne comprennent pas, la longueur des questions et transquestions posées aux témoins et vous aurez une idée du verdict que peuvent rendre ces hommes fatigués et ennuyés par la durée des plaidoyers. De plus, il est très rare, qu’aucun d’eux ne prenne des notes. Ils n’ont donc pour se guider dans leurs décisions que l’exposé du Juge qu’ils écoutent souvent d’une manière distraite et qui n’est que le résumé des témoignages contradictoires qui ont été donnés, ce qui souvent ne saurait jeter une grande lumière sur les sujets. Qu’on ne croie pas que le fait rapporté plus haut soit purement imaginaire. Nous avons entendu un avocat éminent, aujourd’hui sur le banc, qui disait avoir demandé à un juré qui avait déclaré coupable un de ses clients, accusé de meurtre, pourquoi il en avait agi ainsi ; grand nombre de témoins des plus respectables avaient prouvé l’alibi et le juge lui-même le leur avait expliqué dès que ces témoignages se trouvaient parfaitement corroborés. Le juré lui avoua alors franchement qu’ils avaient compris que corroboré était synonyme de contrecarré. Malheureusement lorsque l’avocat reçut cette déclaration, il était trop tard. C’est parce que nous croyons les rôles des grands et des petits jurés intervertis que nous nous permettons ces remarques.

    Note de l’auteur.