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HÉLIKA.

regarda à sa montre : « Encore cinq minutes lui dit-il. » Oh ! je compris de suite que tout espoir était perdu.

En trébuchant, je réussis à me jeter une dernière fois au cou de mon malheureux ami. Dans l’état d’extrême souffrance où j’étais, je ne pus que distinguer ces quelques paroles : « Père Hélika, je te confie ma vieille mère, ma pauvre femme et ma chère petite fille ; sois leur protecteur et ne les abandonne jamais. Porte-leur au plus tôt mes derniers embrassements et dis-leur que je meurs innocent. »

Incapable d’y tenir plus longtemps, je sortis de l’appartement, supporté par deux gardiens et allai m’affaisser sur un siège dans une autre chambre plus loin.

Peu d’instants après, je fus tiré de mon état de torpeur par des bruits de pas dans le corridor. C’était le cortège funèbre qui défilait, je le suivis machinalement.

La cloche sonna de nouveau, mais cette fois, c’était le dernier glas.

Attenousse, les mains liées derrière le dos et la corde au cou dont le bourreau tenait l’autre extrémité, s’avança, d’un air calme, jusque sur le bord de l’échafaud.

La foule était immense, les rires et les chuchotements cessèrent, le spectacle allait commencer. Le condamné se mit à genoux, répéta les prières des agonisants après Monsieur Odillon, puis se levant, il dit d’une voix ferme : « Avant que de paraître devant Dieu, je déclare de la manière la plus solennelle que je suis entièrement innocent du crime pour lequel on m’ôte la vie. Je demande pardon à tous ceux à qui j’ai pu faire du mal sans le savoir et pardonne de tout cœur à ceux qui m’en ont fait. » Il ajouta en se tournant fièrement vers la foule : « Le cœur du guerrier sauvage est inaccessible à la peur. Son chant de mort ne sera pas celui de ses pères, mais celui de la religion de sa femme et de son enfant qu’un missionnaire leur apprit à répéter à l’enterrement de leurs frères. » Puis d’une voix forte, pleine d’une suave et pittoresque beauté, il entonna son Libéra.

Je crois encore, après quinze ans de ces événements, entendre chacune de ces notes qui retentissent dans mon âme avec le glas funèbre que la brise du matin nous apportait de toutes les cloches de la ville.

Son chant funèbre terminé, il se mit de nouveau à genoux, embrassa pieusement le crucifix que monsieur Odillon lui présenta le bonnet fut rabattu sur ses yeux puis un bruit mat se fit entendre. C’était la trappe qui venait de s’ouvrir. À l’instant même, le cri