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HÉLIKA.

me brûlait, me dévorait, et j’aurais donné tout le monde pour pouvoir m’y soustraire.

Sous ce regard ardent, mes dents claquaient dans ma bouche, un frémissement se fit sentir dans tous mes membres, et malgré l’empire que j’avais sur moi-même, je tremblais et une sueur abondante se répandit sur tout mon corps.

Je le voyais, elle me reconnaissait et devinait tout. Je ne sais ce qui fut advenu, si ses paupières ne se fussent fermées. Bien que son regard n’eût pas été long, il m’avait exprimé tout ce qu’il y avait eu dans ma conduite de méchanceté et de scélératesse. Je profitai toutefois de ce moment pour me réfugier dans un coin de la chambre d’où je pouvais l’observer sans qu’elle ne me vît.

Pendant ce temps, tout le monde était silencieux, le prêtre seul priait tout bas auprès de leurs chevets.

Peu d’instants après, la mère ouvrit de nouveau ses yeux et les tourna vers l’endroit que je venais de laisser. Angeline avait pris ma place. Elle la couvrit à son tour de son regard brillant, mais maintenant lucide. Elle la fixa longtemps. Jamais je ne pourrai décrire le changement d’expression qui s’opéra soudainement. Ce fut comme un rayon céleste d’espérance et d’amour d’abord, puis de bonheur ineffable, il passa et s’éteignit comme l’éclair. Elle ferma de nouveau les yeux pour se recueillir encore un moment, et fît signe à la vieille servante d’approcher plus près d’elle, lui murmura quelques mots à l’oreille. Ces quelques mots que nous n’entendîmes pas nous parurent être un ordre. Celle-ci vint prendre Angeline qui fondait en larmes, et la conduisit auprès du lit. Marguerite la contempla un instant avec une expression que je ne puis décrire, et que vous ne sauriez jamais imaginer ; puis, d’un bond, elle fut sur son séant, saisit Angeline, la pressa sur sa poitrine et collant ses lèvres sur celles de la petite : « Mon enfant, ma chère Angeline, s’écria-t-elle, d’une voix impossible à rendre, merci, merci mon Dieu… » puis elle retomba sur son oreiller tenant toujours son enfant étroitement embrassée.

À cette vue, tout le monde était muet de stupeur et quand au bout d’une minute quelques assistants les séparèrent, Marguerite ne souffrait plus, et Angeline par ses sanglots et ses larmes avait inondé le visage de la morte pendant que dans ses paroles à peine articulées, on entendait : « ma mère, oh ! ma mère ». Dieu avait permis qu’elles se reconnussent mutuellement.

Maintenant que je n’étais plus sous les regards de la mère, ma joie féroce était revenue. Je devais être horrible à voir dans ce moment solennel et déchirant ; je craignais que le bonheur que je ressentais dans mon âme, ne se trahît sur ma figure et qu’on ne