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HÉLIKA.

mais sur la terre que deviendrons-nous, si avec l’aide de Dieu vous ne nous protégez. »

« Tes parents, ma chère enfant, lui répondit-il d’une voix émue, veillent sur toi du haut du Ciel ; sois donc confiante et résignée, tant que Dieu me laissera un souffle de vie, je tiendrai leur place sur la terre auprès de toi ; d’ailleurs, le pauvre vieillard, qui vient de rendre son âme à Dieu, t’a laissé de quoi compléter ton éducation et vivre richement. Bénis la Providence pour ce qu’elle a fait, car dans ses inscrutables desseins, elle donne en abondance d’une main ce qu’elle parait ôter de l’autre. Tu dois d’ailleurs, d’après l’ordre de ton bienfaiteur, abandonner la vie des bois, venir au sein de la civilisation, où tu rencontreras plus de protection et te préparer à y remplir la mission que le ciel te destine. »

Ce fut avec une voix pleine d’émotion et de reconnaissance qu’Adala remercia M. Fameux de ces bonnes paroles. Pour nous, après cet entretien, nous n’eûmes, au gré de nos désirs, que bien peu d’occasions de la revoir. Toujours sous la surveillance de la vieille sauvagesse ; elle l’aidait à préparer nos repas, à renouveler le sapin de nos lits, pendant que nous passions nos journées à la chasse ou à la pêche et que le bon missionnaire explorait les terres.

La journée finie nous nous retrouvions le soir au coin du feu et nous racontions les exploits du jour avec leurs incidents ; puis l’heure du repos arrivée, nous donnions, dans nos prières, un souvenir au pauvre vieillard qui venait de nous laisser. Le lendemain, quelque matinal que fut notre déjeuner, il était toujours prêt. La bonne Indienne et Adala nous l’avaient préparé avec le plus grand soin.

Nos cœurs jeunes et neufs de toutes impressions devaient céder aux attraits de cette enfant des bois, qui avait pour nous le parfum et la suavité d’une fleur sauvage, poussée sous l’ombrage des grands arbres de nos bosquets. Sa séduisante beauté et sa grâce naturelle étaient rehaussées encore s’il était possible, par la tristesse répandue sur ses traits et par ses habits de deuil.

Est-il étonnant que ses charmes produisent leur effet sur nous. Bois Hébert, l’un de mes compagnons, se prit à l’aimer avec toute la force et l’ardeur de son tempérament de feu, et jamais dans le cours de sa vie son amour se ralentit un seul instant.

Pourquoi, ne vous avouerai-je pas que je cédai à l’entraînement, que je l’aimai moi aussi comme on ne peut aimer qu’une seule fois dans la vie, c’est vous dire qu’elle fut mon premier et mon