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HÉLIKA.

c’est une inquiétude bien naturelle, car je sens d’un jour à l’autre le poids des ans qui s’appesantit sur moi.

J’éprouve aujourd’hui dans les marches les plus courtes, que mon pied qui gravissait lestement autre fois les pentes les plus rapides, ne se traîne plus que péniblement même sur un terrain uni.

Ma pauvre Aglaousse elle aussi se fait vieille et je songe avec tristesse que quand tous les deux nous aurons quitté la terre, ce qui ne saurait tarder, qui donc prendra soin de ma chère petite fille ?

Je dissimule autant que je le puis les traces de ma décrépitude, mais Adala semble s’en être aperçue, elle m’entoure de plus de soins, de prévenances s’il est possible. Elle ne me laisse plus un seul instant, elle paraît inquiète. Elle me regardait l’autre jour avec un œil plein de tristesse, tout à coup une larme est venue glisser sur ses joues, elle s’est empressée de la faire disparaître et de me sourire. Je lui en ai demandé la cause. « C’est une vilaine poussière ! » m’a-t-elle répondu.

Depuis trois jours, je n’ai pu sortir, je me sens faible, abattu. Je voudrais bien avoir Monsieur Fameux, mais Baptiste et ses compagnons n’y sont pas.

Les deux Français sont partis pour une longue expédition de chasse. Baptiste a pour ainsi dire abandonné la vie des bois. Il s’est mis à la culture et nous ne le voyons plus que rarement.

Mon Dieu, comment pourrai-je faire prévenir Monsieur Fameux de l’état précaire où je me trouve.

Je me suis ouvert à lui et lui ai dit que je comptais sur sa protection pour prendre soin d’Adala et de sa grand-mère quand je ne serai plus. Cette mission, il l’a acceptée, car il sait que je n’ai personne autre à qui m’adresser, mais il faudrait pourtant que je le visse avant de mourir.

Adala s’est bien offerte pour aller le chercher.

La vaillante enfant je l’ai refusée. La distance est si grande et je crains que cette course ne soit au-dessus de ses forces, cependant elle a si fortement insisté que j’ai cédé à ses instances, car je sens que mes heures sont comptées.

En partant elle est venue m’embrasser en pleurant. Ses larmes sont tombées sur mes joues et m’ont réchauffé le cœur.

Je profite de son absence pour écrire ces dernières lignes que ma main tracera :

« Que je te remercie, ma chère Adala, d’avoir égayé ma triste vieillesse par ton jeune et candide enjouement. Lorsque je remontais en esprit, le courant d’une vie tourmentée, je me sentais