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HÉLIKA.

tel, si ses yeux noirs et enfoncés dans leur orbite n’eussent conservé un éclat extraordinaire. Ses sourcils étaient épais, son nez aquilin ressemblait au bec d’un oiseau de proie. Son front était haut et fuyant, ses lèvres minces et son menton proéminent, tout annonçait dans la figure de cet homme une indomptable énergie. L’ensemble de cette figure dénotait une si implacable férocité, qu’il eût fait frémir celui qui l’aurait rencontré un soir dans un chemin détourné ou sur la lisière d’un bois. Cependant, au moment où nous l’aperçûmes ses mains étaient jointes sur sa poitrine, ses lèvres s’agitaient et semblaient répéter les paroles d’une prière que monsieur Fameux disait à haute voix.

« Comme contraste, agenouillée auprès du lit, se tenait dans l’attitude de la prière la jeune fille de la veille. Son épaisse chevelure inondait ses épaules et descendait jusqu’à la ceinture. Elle avait le dos tourné vers la porte. C’était bien la taille que nous avions admirée le soir d’avant, elle offrait dans ses contours tout ce que nous avions pu imaginer dans nos rêves de jeune homme de plus gracieux et de plus parfait. Nous étions arrêtés sur le pas de la porte à contempler ce tableau, lorsque le bruit de nos pas la fit se retourner. Jamais de ma vie, je n’ai vu aussi ravissante figure, nous en fûmes tous éblouis, fascinés. Murillo ou Raphaël eussent été heureux d’en faire le portrait et de le présenter comme celui de leur Madone. Une profonde tristesse était empreinte sur ses traits, et les larmes abondantes qui inondaient ses joues rehaussaient encore, s’il était possible, son angélique beauté. En nous apercevant, elle se retira timide et confuse dans un coin de la chambre ; mais sur un signe du moribond elle disparut dans l’autre hutte. Celui-ci, après avoir jeté sur nous un regard perçant et scrutateur, nous dit : " Vous devez avoir besoin, messieurs, de prendre un peu de nourriture et de repos, pendant que moi de mon côté, je vais avec ce saint homme terminer ma paix avec Dieu. "

« Une vieille sauvagesse nous conduisit dans la troisième cabane où un repas, composé de gibier et de poisson, nous avait été préparé. On s’était mis en frais pour nous y recevoir, car les lits de sapin avaient été renouvelés. C’était, nous dit Baptiste, la maison que le père Hélika avait fait construire spécialement pour y exercer l’hospitalité, là, chasseurs canadiens ou sauvages y trouvaient toujours un gite et la nourriture. Ils restèrent tous deux trois heures en tête à tête, et lorsqu’à l’appel de monsieur Fameux nous entrâmes dans la chambre du mourant, une transformation complète s’était faite sur son visage. Les yeux