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HÉLIKA.

tout en discourant sur l’incident de la veille. Comme toujours lorsqu’on est jeune, la gaieté nous était revenue avec le repos ; aussi ne mîmes-nous pas de temps à franchir les trois milles qui séparaient le lac du lieu de notre campement. Lorsque nous arrivâmes sur ses bords, deux beaux grands canots, creusés dans le tronc de gros pins, nous attendaient. Baptiste se promenait sur le rivage et du revers de sa main essuyait une larme.

" Hâtez-vous, messieurs, nous dit-il, le père Hélika désire vous voir. Il a parait-il quelque confidence à vous faire, et le pauvre vieillard n’a plus bien longtemps à vivre. " En peu d’instants nous fûmes installés dans les canots et pesâmes hardiment sur l’aviron.

« Le lac était beau ce matin-là. Sa surface était plane et unie, pas une ride ne venait troubler le paisible miroir que nous avions devant les yeux. Quelques vapeurs humides s’élevaient çà et là des rochers ou de la masse d’eau. Elles nous apparaissaient comme les images fantastiques des fées de nos anciens contes. Les cris des huards se faisaient entendre de l’un ou l’autre rivage, tant l’atmosphère était calme. Parfois aussi, le martin-pêcheur nous envoyait des notes saccadées et stridentes, toutes frémissantes de joie de la prise qu’il venait de faire d’un petit goujon. Les fleurs des glaïeuls, qui nageaient à la surface et s’ouvraient au soleil levant, nous faisaient penser à un riche tapis de verdure émaillé de fleurs. Mais entre les rives et le pied des montagnes avoisinantes, de beaux grands arbres séculaires donnaient par les différentes nuances de leur feuillage un cadre magnifique au miroir qui s’étendait devant nous. Ces arbres avaient une grandeur et une majesté impossibles à décrire. Quelques-uns d’une taille plus svelte s’inclinaient complaisamment comme s’ils eussent voulu contempler leur beauté dans le crystal limpide de l’eau, tel que peut le faire une coquette jeune fille. D’autres au contraire élevaient leurs troncs énormes et secs, montrant ainsi leurs branches desséchées comme les membres d’un vieillard. Tandis qu’un bouquet verdoyant semblait, comme la tête d’un patriarche, avoir seul conservé un reste de sève et de vie. On voyait à ses pieds, des arbustes de différentes familles s’élever et sembler lui demander protection.

« Plus loin et du quatrième côté du lac, s’étendait une savane sombre et triste. Des arbres rabougris, une mousse épaisse, un terrain marécageux et rempli de fondrières donnaient à cet endroit un aspect solitaire et désolé. Il formait un contraste frappant qui faisait ressortir davantage la beauté des autres rives, Nous nageâmes en silence pendant quelque temps, absorbés dans la contemplation de la sauvage et pittoresque beauté du