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VIE
DE
DANIEL DE FOË.


’était le 30 juin 1703. Un échafaud peint en rouge s’élevait en dehors de Temple-Bar. Temple-Bar, ou la Barrière du Temple, était, comme on sait, une des portes de la Cité de Londres.

Les rues étroites, fangeuses, mal pavées, regorgeaient de peuple ; on se pressait pour arriver au lieu de l’exécution. La place au milieu de laquelle se trouvaient l’échafaud, les gens de justice et le coupable, était silencieuse ; le soleil d’Angleterre projetait sa lumière mate et lourde sur des milliers de têtes attentives, solennelles ; — étrange spectacle !

Gravité et respect sur beaucoup de figures ; enthousiasme ardent empreint sur d’autres physionomies ; curiosité chez la plupart, mécontentement comprimé chez d’autres ; partout le bon ordre.

Sur une pancarte au-dessus de la tête du patient, on lisait ces mots :

DANIEL DE FOË.

Oui, l’auteur de Robinson Crusoé, l’ami de votre enfance, le père de ce roman, plus historique que l’histoire, et aussi connu que la Bible, était au pilori !

Des fleurs nouvelles étaient semées sur l’esplanade de l’échafaud : des guirlandes de laurier couraient autour des poteaux qui soutenaient l’instrument de supplice. On voyait aux fenêtres de jeunes et fraîches figures, aux renards pleins de larmes, et, dans les rangs du peuple, de vieux prêtres presbytériens qui murmuraient des prières, et bénissaient la victime. Les portefaix, les charbonniers (colliers), les gens du bas peuple, mettant à contribution les tavernes environnantes, se passaient de main en main les brocs pleins d’ale et les pots d’étain. On entendait ce cri, répété par mille voix d’Hercule : Longue vie à Daniel ! Quand les officiers de Justice firent jouer la machine infâme, et dégagèrent le patient, les acclamations devinrent plus violentes : des rafraîchissements furent offerts à de Foë, et pendant tout le cours de son voyage de Temple-Bar à Newgate, les mêmes gardes d’honneur volontaires l’accompagnèrent avec ordre, maudissant le pouvoir.

Tout concourait à augmenter l’intérêt de cette scène, dont les détails paraîtront romanesques à ceux qui connaissent mal cette époque. Pas un trait de ce tableau qui ne se trouve chez les auteurs et dans les journaux contemporains. De Foë souriait au peuple, calmait sa colère et modérait ses cris. Dans les rues que de Foë traversait pour retourner à sa prison, les colporteurs écriaient : « Achetez l’Hymne au Pilori, par le célèbre Daniel de Foë ; achetez, messieurs, l’Hymne au Pilori, son dernier ouvrage ! »