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remment avec celle-ci. Pressés de questions cependant, nous pourrions donner à entendre que dans cette œuvre tout ce qui nous semble appartenir à Hermès n’est pas remarquable ; pour ce qui est d’Aphrodite, nous avons trop d’entregent pour manquer à la galanterie : nous nous bornerons à regretter qu’un beau nom se soit chargé des misères d’autrui.

Pour donner à la France un ROBINSON digne de la France, il faudrait la plume pure, souple, conteuse et naïve de Charles Nodier. Le traducteur de ce livre ne s’est point dissimulé la grandeur de la tâche. À défaut de talent, il a apporté de l’exactitude et de la conscience. Un autre viendra peut-être et fera mieux. Il le souhaite de tout son cœur ; mais aussi il demeure convaincu, modestie de préface à part, que, quelle que soit l’infériorité de son travail sur ROBINSON, il est au-dessus de ceux faits avant lui, de toute la distance qu’il y a de sa traduction à l’original.

C’est à l’envi, c’est à qui mieux mieux, c’est à qui s’occupera des grands poètes, des grandes créations littéraires ; mais un écrivain ne voudrait pas descendre jusqu’aux livres populaires, aux beaux livres populaires qui ont toute notre affection : on les abandonne aux talents de bas étage et de commerce. Pour nous, peu ambitieux, nous revendiquons ces parias et croyons notre part assez belle.

On a engagé le traducteur de ce livre à se justifier de son orthographe du mot mouce et du mot touts. Ce n’est point ici le lieu d’une dissertation philologique. Il se contentera de répondre brusquement à ceux qui s’efforcent de l’oublier, que le pluriel, en français, se forme en ajoutant une s. S’il court par le monde des habitudes vicieuses, il ne les connaît pas et ne veut pas les connaître. L’orthographe de MM. de Port-Royal lui suffit, Quant au mot mouce, c’est une simple rectification étymologique demandée depuis longtemps. Il faut espérer qu’enfin cette homonymie créée à plaisir disparaîtra de nos lexiques, escortée d’une belle collection de bévues et de barbarismes qui déparent les meilleurs : Dieu sait ce qu’ils valent ! Il n’est pas possible que le moça des navigateurs méridionaux puisse s’écrire comme la mousse, le muscus de nos herboristes. Pour quiconque n’est pas étranger à la philologie, il est facile d’appercevoir la cause de cette erreur. On a fait aux marins la réputation de n’être pas forts sur la politesse ; mais leur impolitesse n’est rien au prix de leur orthographe : il n’est peut-être pas un terme de marine qui ne soit une cacographie ou une cacologie.

Saura-t-on gré au traducteur de ce livre de la peine qu’il a prise ? confondra-t-on le labeur fait par choix et par amour avec de la besogne faite à la course et dans le but d’un salaire ? Cela ne se peut pas, ce serait trop décourageant. Il est un petit nombre d’esprits d’élite qui fixent la valeur de toutes choses ; ces esprits-là sont généreux, ils tiennent compte des efforts. D’ailleurs le bien doit mener à bien, chaque chose finit toujours par tomber ou monter au rang qui lui convient. Le traducteur de ce livre ne croit pas à l’injustice.


Note de Wikisource

Dans la préface de l’édition de référence, le traducteur Pétrus Borel justifie son orthographe du mot « tous » en « touts » et « mousse » (jeune marin) en « mouce ». L’orthographe de l’édition originale est conservée ici.