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et ajusta aussi. — « Es-tu prêt, Vendredi, » lui dis-je. — « Oui, répondit-il. — « Feu donc, au nom de Dieu ! » Et au même instant nous tirâmes touts deux sur ces misérables épouvantés. Comme nos armes n’étaient chargées que de ce que j’ai appelé chevrotines ou petites balles de pistolet, il n’en tomba que deux ; mais il y en eut tant de frappés, que nous les vîmes courir çà et là tout couverts de sang, criant et hurlant comme des insensés et cruellement blessés pour la plupart. Bientôt après trois autres encore tombèrent, mais non pas tout-à-fait morts.

— « Maintenant, Vendredi, m’écriai-je en posant à terre les armes vides et en prenant le mousquet qui était encore chargé, suis moi ! » — Ce qu’il fit avec beaucoup de courage. Là-dessus je me précipitai hors du bois avec Vendredi sur mes talons, et je me découvris moi-même. Sitôt qu’ils m’eurent apperçu je poussai un cri effroyable, j’enjoignis à Vendredi d’en faire autant ; et, courant aussi vite que je pouvais, ce qui n’était guère, chargé d’armes comme je l’étais, j’allai droit à la pauvre victime qui gisait, comme je l’ai dit, sur la grève, entre la place du festin et la mer. Les deux bouchers qui allaient se mettre en besogne sur lui l’avaient abandonné de surprise à notre premier feu, et s’étaient enfuis, saisis d’épouvante, vers le rivage, où ils s’étaient jetés dans un canot, ainsi que trois de leurs compagnons. Je me tournai vers Vendredi, et je lui ordonnai d’avancer et de tirer dessus. Il me comprit aussitôt, et, courant environ la longueur de quarante verges pour s’approcher d’eux, il fit feu. Je crus d’abord qu’il les avait touts tués, car ils tombèrent en tas dans le canot ; mais bientôt j’en vis deux se relever. Toutefois il en avait expédié deux et blessé un troisième, qui resta comme mort au fond du bateau.