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La saison des pluies, qui m’obligeait à garder la maison plus que de coutume, étant alors revenue, j’avais donc mis notre vaisseau aussi en sûreté que possible, en l’amenant dans la crique où, comme je l’ai dit au commencement, j’abordai avec mes radeaux. L’ayant halé sur le rivage pendant la marée haute, je fis creuser à mon serviteur Vendredi un petit bassin tout juste assez grand pour qu’il pût s’y tenir à flot ; puis, à la marée basse, nous fîmes une forte écluse à l’extrémité pour empêcher l’eau d’y rentrer : ainsi notre vaisseau demeura à sec et à l’abri du retour de la marée. Pour le garantir de la pluie, nous le couvrîmes d’une couche de branches d’arbres si épaisse, qu’il était aussi bien qu’une maison sous son toit de chaume. Nous attendîmes ainsi les mois de novembre et de décembre, que j’avais désignés pour l’exécution de mon entreprise.

Quand la saison favorable s’approcha, comme la pensée de mon dessein renaissait avec le beau temps, je m’occupai journellement à préparer tout pour le voyage. La première chose que je fis, ce fut d’amasser une certaine quantité de provisions qui devaient nous être nécessaires. Je me proposais, dans une semaine ou deux, d’ouvrir le bassin et de lancer notre bateau, quand un matin que j’étais occupé à quelqu’un de ces apprêts, j’appelai Vendredi et lui dis d’aller au bord de la mer pour voir s’il ne trouverait pas quelque chélone ou tortue, chose que nous faisions habituellement une fois par semaine ; nous étions aussi friands des œufs que de la chair de cet animal. Vendredi n’était parti que depuis peu de temps quand je le vis revenir en courant et franchir ma fortification extérieure comme si ses pieds ne touchaient pas la terre, et, avant que j’eusse eu le temps de lui parler, il me cria : — « Ô maître ! ô maître ! ô chagrin ! ô mauvais ! » — « Qu’y a-t-il,