Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/363

Cette page a été validée par deux contributeurs.

hissait une étrange passion, comme s’il eût eu un désir véhément de retourner dans sa patrie. Cet air, cette expression éveilla en moi une multitude de pensées qui me laissèrent moins tranquille que je l’étais auparavant sur le compte de mon nouveau serviteur Vendredi ; et je ne mis pas en doute que si jamais il pouvait retourner chez sa propre nation, non-seulement il oublierait toute sa religion, mais toutes les obligations qu’il m’avait, et qu’il ne fût assez perfide pour donner des renseignements sur moi à ses compatriotes, et revenir peut-être, avec quelques centaines des siens, pour faire de moi un festin auquel il assisterait aussi joyeux qu’il avait eu pour habitude de l’être aux festins de ses ennemis faits prisonniers de guerre.

Mais je faisais une violente injustice à cette pauvre et honnête créature, ce dont je fus très-chagrin par la suite. Cependant, comme ma défiance s’accrut et me posséda pendant quelques semaines, je devins plus circonspect, moins familier et moins affable avec lui ; en quoi aussi j’eus assurément tort : l’honnête et agréable garçon n’avait pas une seule pensée qui ne découlât des meilleurs principes, tout à la fois comme un Chrétien religieux et comme un ami reconnaissant, ainsi que plus tard je m’en convainquis, à ma grande satisfaction.

Tant que durèrent mes soupçons on peut bien être sûr que chaque jour je le sondai pour voir si je ne découvrirais pas quelques-unes des nouvelles idées que je lui supposais ; mais je trouvai dans tout ce qu’il disait tant de candeur et d’honnêteté que je ne pus nourrir long-temps ma défiance ; et que, mettant de côté toute inquiétude, je m’abandonnai de nouveau entièrement à lui. Il ne s’était seulement pas apperçu de mon trouble ; c’est pourquoi je ne saurais le soupçonner de fourberie.