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je ne m’en étais senti de ma vie. Si bien que j’aie réussi ou non avec cet infortuné, je n’en avais pas moins de fortes raisons pour remercier le Ciel de me l’avoir envoyé. Le chagrin glissait plus légèrement sur moi ; mon habitation devenait excessivement confortable ; et quand je réfléchissais que, dans cette vie solitaire à laquelle j’avais été condamné, je n’avais pas été seulement conduit à tourner mes regards vers le Ciel et à chercher le bras qui m’avait exilé, mais que j’étais devenu un instrument de la Providence pour sauver la vie et sans doute l’âme d’un pauvre Sauvage, et pour l’amener à la vraie science de la religion et de la doctrine chrétiennes, afin qu’il pût connaître le Christ Jésus, afin qu’il pût connaître celui qui est la vie éternelle ; quand, dis-je, je réfléchissais sur toutes ces choses, une joie secrète s’épanouissait dans mon âme, et souvent même je me félicitais d’avoir été amené en ce lieu, ce que j’avais tant de fois regardé comme la plus terrible de toutes les afflictions qui eussent pu m’advenir.

Dans cet esprit de reconnaissance j’achevai le reste de mon exil. Mes conversations avec Vendredi employaient si bien mes heures, que je passai les trois années que nous vécûmes là ensemble parfaitement et complètement heureux, si toutefois il est une condition sublunaire qui puisse être appelée bonheur parfait. Le Sauvage était alors un bon Chrétien, un bien meilleur Chrétien que moi ; quoique, Dieu en soit béni ! j’aie quelque raison d’espérer que nous étions également pénitents, et des pénitents consolés et régénérés. — Nous avions la parole de Dieu à lire et son Esprit pour nous diriger, tout comme si nous eussions été en Angleterre.

Je m’appliquais constamment à lire l’Écriture et à lui expliquer de mon mieux le sens de ce que je lisais ; et lui,