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donner à de pareilles réflexions n’était pas venue ; le Sauvage abasourdi avait recouvré assez de force pour se mettre sur son séant et je m’appercevais que le mien commençait à s’en effrayer. Quand je vis cela je pris mon second fusil et couchai en joue notre homme, comme si j’eusse voulu tirer sur lui. Là-dessus, mon Sauvage, car dès lors je pouvais l’appeler ainsi, me demanda que je lui prêtasse mon sabre qui pendait nu à mon côté ; je le lui donnai : il ne l’eut pas plus tôt, qu’il courut à son ennemi et d’un seul coup lui trancha la tête si adroitement qu’il n’y a pas en Allemagne un bourreau qui l’eût fait ni plus vite ni mieux. Je trouvai cela étrange pour un Sauvage, que je supposais avec raison n’avoir jamais vu auparavant d’autres sabres que les sabres de bois de sa nation. Toutefois il paraît, comme je l’appris plus tard, que ces sabres sont si affilés, sont si pesants et d’un bois si dur, qu’ils peuvent d’un seul coup abattre une tête ou un bras. Après cet exploit il revint à moi, riant en signe de triomphe, et avec une foule de gestes que je ne compris pas il déposa à mes pieds mon sabre et la tête du Sauvage.

Mais ce qui l’intrigua beaucoup, ce fut de savoir comment de si loin j’avais pu tuer l’autre Indien, et, me le montrant du doigt, il me fit des signes pour que je l’y laissasse aller. Je lui répondis donc du mieux que je pus que je le lui permettais. Quand il s’en fut approché, il le regarda et demeura là comme un ébahi ; puis, le tournant tantôt d’un côté tantôt d’un autre, il examina la blessure. La balle avait frappé juste dans la poitrine et avait fait un trou d’où peu de sang avait coulé : sans doute il s’était épanché intérieurement, car il était bien mort. Enfin il lui prit son arc et ses flèches et s’en revint. Je me mis alors en devoir de partir et je l’invitai à me suivre, en lui donnant