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J’en fus vraiment navré, et je compris alors, mais trop tard, quelle folie c’était d’entreprendre un ouvrage avant d’en avoir calculé les frais et d’avoir bien jugé si nos propres forces pourraient le mener à bonne fin.

Au milieu de cette besogne je finis ma quatrième année dans l’île, et j’en célébrai l’anniversaire avec la même dévotion et tout autant de satisfaction que les années précédentes ; car, par une étude constante et une sérieuse application de la parole de Dieu et par le secours de sa grâce, j’acquérais une science bien différente de celle que je possédais autrefois, et j’appréciais tout autrement les choses : je considérais alors le monde comme une terre lointaine où je n’avais rien à souhaiter, rien à désirer ; d’où je n’avais rien à attendre, en un mot avec laquelle je n’avais rien et vraisemblablement ne devais plus rien avoir à faire. Je pense que je le regardais comme peut-être le regarderons-nous après cette vie, je veux dire ainsi qu’un lieu où j’avais vécu, mais d’où j’étais sorti ; et je pouvais bien dire comme notre père Abraham au Mauvais Riche : — « Entre toi et moi il y a un abîme profond. »

Là j’étais éloigné de la perversité du monde : je n’avais ni concupiscence de la chair, ni concupiscence des yeux, ni faste de la vie. Je ne convoitais rien, car j’avais alors tout ce dont j’étais capable de jouir ; j’étais seigneur de tout le manoir : je pouvais, s’il me plaisait, m’appeler Roi ou Empereur de toute cette contrée rangée sous ma puissance ; je n’avais point de rivaux, je n’avais point de compétiteur, personne qui disputât avec moi le commandement et la souveraineté. J’aurai pu récolter du blé de quoi charger des navires ; mais, n’en ayant que faire, je n’en semais que suivant mon besoin. J’avais à foison des