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quand tout l’équipage périt excepté toi ? Et après cela te rediras-tu : Qu’ai-je donc fait ? »

Ces réflexions me stupéfièrent ; je ne trouvai pas un mot à dire, pas un mot à me répondre. Triste et pensif, je me relevai, je rebroussai vers ma retraite, et je passai par-dessus ma muraille, comme pour aller me coucher ; mais mon esprit était péniblement agité, je n’avais nulle envie de dormir. Je m’assis sur une chaise, et j’allumai ma lampe, car il commençait à faire nuit. Comme j’étais alors fortement préoccupé du retour de mon indisposition, il me revint en la pensée que les Brésiliens, dans toutes leurs maladies, ne prennent d’autres remèdes que leur tabac, et que dans un de mes coffres j’en avais un bout de rouleau tout à fait préparé, ce quelque peu de vert non complètement trié.

J’allai à ce coffre, conduit par le Ciel sans doute, car j’y trouvai tout à la fois la guérison de mon corps et de mon âme. Je l’ouvris et j’y trouvai ce que je cherchais, le tabac ; et, comme le peu de livres que j’avais sauvés y étaient aussi renfermés, j’en tirai une des Bibles dont j’ai parlé plus haut, et que jusqu’alors je n’avais pas ouvertes, soit faute de loisir, soit par l’indifférence. J’aveins donc une Bible, et je l’apportai avec le tabac sur ma table.

Je ne savais quel usage faire de ce tabac, ni s’il était convenable ou contraire à ma maladie ; pourtant j’en fis plusieurs essais, comme si j’avais décidé qu’il devait être bon d’une façon ou d’une autre. J’en mis d’abord un morceau de feuille dans ma bouche et je le chiquai : cela m’engourdit de suite le cerveau, parce que ce tabac était vert et fort, et que je n’y étais pas très accoutumé. J’en fis ensuite infuser pendant une heure ou deux dans un peu de rum pour prendre cette potion en me couchant ; enfin j’en fis brûler