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qu’un véritable Anglais n’est rien, et que ce prétendu patriotisme de localité est la plus absurde des niaiseries, Le Véritable Anglais eut quarante éditions.

Les efforts de Daniel de Foë ne furent pas stériles. Peu de temps avant la mort du roi Guillaume, un accès de raison et de bon sens parut s’emparer du peuple anglais mais cela ne dura pas long-temps. Bientôt le parlement devint plus hostile que jamais, ne traitant le roi qu’avec mépris, refusant les subsides, et armant d’épines cette couronne royale que Guillaume tenait de lui. Un Jour, seize hommes bien vêtus entrèrent dans la salle des séances où siégeaient les membres des communes ; c’était le 14 mai 1701 ; les seize gentilshommes ouvrirent leurs rangs. Au milieu d’eux se trouvait un homme grave qui présenta une pétition au speaker, ou président ; leurs rangs se refermèrent, et la procession des seize gentilshommes sortit paisiblement de Saint-Étienne ; Cette pétition était signée Légion ; l’homme qui l’avait présentée était de Foë. Les gentilshommes qui l’avaient escorté étaient ses amis, qui, sachant le péril auquel il s’exposait, avaient caché des poignards et des pistolets sous leurs vêtements, prêts à le défendre. La pétition demandait au parlement de s’occuper enfin des intérêts du peuple ; de ne pas abreuver de chagrin le roi choisi par les Protestants, de lui accorder les subsides dont il avait besoin, et de ne pas le laisser sans armée et sans marine au moment où Louis XIV, devenu maître de l’Espagne, menaçait le Protestantisme d’une destruction complète. Présenter cette pétition, c’était braver la mort. Cinq gentilshommes du comté de Kent, qui, huit jours auparavant, en avaient présenté une beaucoup moins énergique, se trouvaient enfermés par l’ordre des communes, et attendaient leur jugement L’audace de de Foë les sauva et peut-être sauva Guillaume. L’assemblée, hostile au roi, fut effrayée de cette action si fière, si noble et en même temps si légale ; elle baissa le ton, elle ouvrit les portes de la prison aux premiers pétitionnaires, accorda les subsides, et se tut. Un historien de l’époque raconte que, trois jours après la présentation de cette pétition qui ne fut nommée désormais que la remontrance de la légion, tous les bancs de la chambre des communes se trouvèrent dégarnis.

Alors Guillaume appela auprès de lui son noble défenseur et, comme s’il eût bien connu le caractère de Daniel, il se contenta de lui demander des conseils, sans lui offrir de situation officielle ni lucrative. Il mourut peu de temps après, et sur sa tombe les mêmes calomnies se déchaînèrent. De Foë passa toute sa vie à défendre sa mémoire, en prose et en vers, par la satire, par le raisonnement. Jamais gratitude ne fut plus durable, plus ardente, et ne se révéla sous plus de formes différentes. On la retrouve dans touts les écrits de Daniel, dans ses romans, dans ses poèmes, dans sa Revue, vingt ans après la mort de Guillaume.

L’idolâtrie que de Foë professait pour la mémoire de Guillaume fut un titre de proscription pour lui sous le nouveau règne. Toujours un roi ou un ministre, dès leur début, s’attachent à renverser les plans, à contrarier les projets de leurs prédécesseurs ; il leur semble qu’il y aurait bassesse à faire ce qu’a déjà fait un autre. Guillaume avait reconnu que les Tories, malgré, leurs protestations, étaient ses ennemis mortels ; la reine donna le pouvoir aux Tories. Il avait repoussé les prétentions du haut clergé et tenté de faire prévaloir la tolérance. Anne prit la route contraire, et encouragea le fanatisme. Alors parut un petit ouvrage caustique, intitulé : Le plus court Chemin à prendre avec les Dissidents. De Foë, comme Pascal, avait imité le langage et prêché la théorie de ses adversaires ; c’étaient les paroles, c’étaient les dogmes, c’étaient les idées et les projets du haut clergé ; tout le monde y fut trompé. Le haut clergé avoua l’ouvrage, qu’il regarda comme un résumé complet de ses opinions. Pendant huit jours, l’illusion que de Foë avait voulu produire fut entière ; mais après ce succès, il eut l’imprudence de proclamer la véritable intention, le but ironique de l’ouvrage, et de s’en déclarer l’auteur. Alors le haut clergé, furieux d’avoir été trompé, traina de Foë devant les tribunaux ; de Foë, qui ne trouva pas un défenseur, et que d’indignes juges condamnèrent au supplice du pilori, où nous l’avons vu au commencement de cet article. Nous citerons quelques fragments de son admirable Hymne au Pilori, remar-