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temps. Un jour, lorsque ma tente et ma grotte n’existaient encore qu’en projet, il arriva qu’un nuage sombre et épais fondit en pluie d’orage, et que soudain un éclair en jaillit, suivi selon son effet naturel, d’un grand coup de tonnerre. La foudre m’épouvanta moins que cette pensée, qui traversa mon esprit avec la rapidité même de l’éclair : Ô ma poudre !… Le cœur me manqua quand je songeai que toute ma poudre pouvait sauter d’un seul coup ; ma poudre, mon unique moyen de pourvoir à ma défense et à ma nourriture. Il s’en fallait de beaucoup que je fusse aussi inquiet sur mon propre danger, et cependant si la poudre eût pris feu, je n’aurais pas eu le temps de reconnaître d’où venait le coup qui me frappait.

Cette pensée fit une telle impression sur moi, qu’aussitôt l’orage passé, je suspendis mes travaux, ma bâtisse, et mes fortifications, et me mis à faire des sacs et des boîtes pour diviser ma poudre par petites quantités ; espérant qu’ainsi séparée, quoi qu’il pût advenir, tout ne pourrait s’enflammer à la fois ; puis je dispersai ces paquets de telle façon qu’il aurait été impossible que le feu se communiquât de l’un à l’autre. J’achevai cette besogne en quinze jours environ ; et je crois que ma poudre, qui pesait bien en tout deux cent quarante livres, ne fut pas divisée en moins de cent paquets. Quant au baril qui avait été mouillé, il ne me donnait aucune crainte ; aussi le plaçai-je dans ma nouvelle grotte, que par fantaisie j’appelais ma cuisine ; et quant au reste, je le cachai à une grande hauteur et profondeur, dans des trous de rochers, à couvert de la pluie, et que j’eus grand soin de remarquer.

Tandis que j’étais occupé à ce travail, je sortais au moins une fois chaque jour avec mon fusil, soit pour me récréer, soit pour voir si je ne pourrais pas tuer quelque