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Des mains royales tournèrent les pages de vos manuscrits, en penchant sur vous l’approbation d’un sourire fardé. On vous tracassait bien un peu avec un nommé Piccini qui écrivit plus de soixante opéras. Vous supportiez en cela une loi commune qui veut que la quantité remplace la qualité et que les Italiens aient encombré de tout temps le marché musical. — Le Piccini ci-dessus est tellement oublié qu’il a dû prendre le nom de Puccini pour arriver à se faire jouer à l’Opéra-Comique. — Par ailleurs, ces discussions entre abbés élégamment érudits et encyclopédistes dogmatiques devaient vous importer assez médiocrement ; les uns comme les autres parlaient de musique avec cette incompétence que vous retrouveriez aussi vive dans notre monde. Et si vous témoigniez d’indépendance en dirigeant, sans perruque, votre bonnet de nuit sur la tête, la première représentation d'Iphigénie en Aulide, il vous importait davantage de plaire à votre roi, à votre reine. Mais, voyez-vous, votre musique garde de ces hautes fréquentations une allure presque uniformément pompeuse : si l’on y aime, c’est avec une majestueuse décence, et la souffrance même y exécute de préalables révérences… Qu’il soit plus élégant de plaire au roi Louis XVI qu’au monde de la troisième République est une question que votre état de « mort » m’empêche de résoudre par l’affirmative.