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adieu aux chimères dont je m’étais nourri pendant bien des années.

Sur le bateau le Léopold, j’avais trois compagnons de voyage qui en étaient au même point que moi. L’un, Espagnol de qualité, le second, gentilhomme bolonais, et le troisième, jeune Piémontais, espèce de Sancho Pança bon vivant, qui s’en allait à Constantinople.

Nous avions résolu de nous loger dans la même maison. Notre débarquement fut la chose la plus grotesque du monde. Trois facchini auraient suffi pour porter nos bagages ; il en vint une quinzaine, se démenant comme des diables, qui s’emparèrent des malles comme de leur bien, en chargèrent une petite charrette, et se partagèrent le butin de manière à paraître occupés tous les quinze. La charrette roulait au galop, poussée par autant de mains qu’elle en pouvait contenir. Des éclaireurs voltigeaient à l’entour avec nos manteaux. Un autre allait devant, en courrier, armé d’un fourreau de parapluie dont il frappait à tour de bras les gens qu’il rencontrait, pour les forcer à se ranger. Des gamins nous suivaient au pas de course, formant une arrière-garde hurlante et déguenillée. Nous portions apparemment écrit en grosses lettres sur le milieu du visage que nous venions à Naples pour la première fois, car auprès de nous d’autres voyageurs firent leur entrée sans éclat. Nous traversâmes ainsi triomphalement la place du Château, celle du Palais-Royal, et le quai du Géant c’est-à-dire le quartier le plus beau et le plus peuplé de la ville. Cette marche triomphale, qui eût été ridicule partout ailleurs, semblait fort naturelle à Naples, où l’on voit chaque matin des émeutes de ce