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cachés derrière une porte en attendant son réveil. L’homme vivement éperonné se retourne sur le côté, et s’écrie, les yeux fermés, tout en tenant et secouant l’instrument que son avocat lui avait mis dans la main :

— Que le diable les emportent tous !

— Courage ! mon ami, fit Vallière, tu as vingt-quatre heures pour maudire tes juges !

— Et vingt-quatre ans, cria Plamondon, pour maudire ton cher avocat !

L’habitant ouvre les yeux et s’écrie à l’aspect du gourdin qu’il tenait : malédiction ! j’en avais vingt-deux pouces ! comment me montrer maintenant parmi le monde ! je ne puis m’en retourner chez moi que pendant la nuit ! comment aborder ma femme après un tel affront !

— Je suis vengé, fit Vallière : j’ai perdu ton procès et je t’ai coupé la couette.

Vallière était d’une gaieté folle avec ses amis. Il semblait que Dieu en le créant n’eût rien refusé à cet homme privilégié : il réunissait aux talents les plus brillants un cœur de la plus exquise sensibilité ; jamais le malheureux n’a imploré en vain son assistance.

Combien de fois, ô mon ami ! ai-je vu couler tes larmes sur les malheurs d’autrui. Des âmes froides t’ont reproché, lorsque tu siégeais sur le banc judiciaire, de n’écouter souvent que les mouvements de ton cœur sensible ; de t’écarter alors dans tes sentences de la stricte lettre de nos lois. L’hermine[1] dont tu étais

  1. Les juges du banc de la reine portaient autrefois des manteaux d’hermine.