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LES ANCIENS CANADIENS.

vous peindre mon horreur, malgré mon sang-froid habituel. Je ne perdis pourtant pas toute présence d’esprit : je me rappelai, pendant mon immersion, qu’une corde pendait au beaupré : j’eus le bonheur de la saisir en remontant à la surface de l’eau ; mais malgré mon agilité de singe, pendant ma jeunesse, je ne m’en retirai qu’en laissant en otage, dans le gosier d’un caïman peu civilisé, une de mes bottes et une partie précieuse d’un de mes mollets (g).

À ton tour maintenant, lutin du diable, continua le capitaine : il faut tôt ou tard que tu me paies le tour que tu m’as joué. J’arrivais l’année dernière, de la Martinique ; je rencontre monsieur, le matin, à la basse ville de Québec, au moment où il se préparait à traverser le fleuve, à l’ouverture de ses vacances, pour se rendre chez son père. Après une rafale d’embrassades, dont j’eus peine à me dégager en tirant à bâbord, je le charge d’annoncer mon arrivée à ma famille, et de lui dire que je ne pourrais descendre à Saint-Thomas avant trois ou quatre jours. Que fait ce bon apôtre ? Il arrive chez moi, à huit heures du soir, en criant comme un possédé : de la joie ! de la joie ! mais criez donc, de la joie !

— Mon mari est arrivé, fait madame Marcheterre ! Mon père est arrivé, s’écrient mes deux filles !

— Sans doute, dit-il : est-ce que je serais si joyeux sans cela !

Il embrasse d’abord ma bonne femme : il n’y avait pas grand mal à cela. Il veut embrasser mes filles, qui lui lâchent leur double bordée de soufflets, et filent ensuite toutes voiles au vent. Que dites-vous, M. le curé, de ce beau début, en attendant le reste ?

— Ah ! M. Jules, s’écria le vieux pasteur, j’ap-