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LES ANCIENS CANADIENS.

de la consolation de jurer tant soit peu ? ne serait-ce que contre son éthiopien de cuisinier qui lui fait des fricassées aussi noires que son visage !

— Comment diablotin enragé, s’écria le capitaine avec une colère comique, tu oses encore parler, après le tour que tu m’as fait ?

— Moi ! dit Jules, d’un air bonace, je vous ai joué un tour ? j’en suis incapable, capitaine : vous me calomniez bien cruellement.

— Mais voyez le bon apôtre ! dit Marcheterre, je l’ai calomnié ! n’importe, allons au plus pressé. Reste en panne, mousse, pour le petit quart d’heure ; je saurai te retrouver bientôt.

Je voulais donc dire, continua le capitaine, lorsque M. le curé a coulé à fond de cale mon malencontreux juron et fermé l’écoutille par-dessus, que quand bien même, jeune homme, vous auriez descendu au pied de la chute, par curiosité, pour donner des nouvelles de ce qui s’y passe à vos amis, qu’alors comme votre confrère, le saumon, vous auriez aussi trouvé le tour de l’escalader.

La conversation avait tourné à la plaisanterie : les saillies, les bons mots succédèrent pendant longtemps aux émotions cruelles de la soirée.

— Remplissez vos gobelets ; feu partout, s’écria M. de Beaumont : je vais porter une santé qui, j’en suis sûr, sera bien accueillie.

— Vous en parlez à votre aise, dit le vieux curé, auquel on avait donné pour lui faire honneur une coupe richement travaillée, mais presque le double de celles des autres convives. Je suis plus que nonagénaire et par conséquent je n’ai plus ma tête bretonne de vingt-cinq ans.