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LES ANCIENS CANADIENS.

« En moins de deux heures, le fort est investi, attaqué et forcé de capituler…… De Villiers[1] voit à ses pieds ses ennemis lui demander la vie…… Il sacrifie son ressentiment à la tranquillité des nations, à sa propre gloire, à l’honneur de la patrie, aux devoirs de l’humanité…… Quel contraste !

« Un bon Français, au moment où il apprit, en frémissant, cette affreuse nouvelle, s’écria, quoique d’une voix étouffée de ses sanglots :

« Perfides dans la guerre et traîtres dans la paix,
« À la foi des traités par système indociles,
« Anglais ! dans ce tombeau repose Jumonville :
« Rougissez, s’il se peut, à l’aspect d’un Français !
« Si par l’assassinat dans vos fureurs brutales,
« De ce jeune héros vous crûtes vous venger,
« Après un tel forfait, atroces cannibales,
« Il ne restait qu’à le manger. »

À la nouvelle de ce meurtre, il s’éleva un cri de rage et d’indignation dans toute la Nouvelle et l’Ancienne France, et un membre de l’Académie Française, Thomas, écrivit le poème Jumonville.

Avant de citer la capitulation que M. de Villiers fit signer à Washington, je crois devoir donner un extrait, tiré des Archives de la marine française, où l’on trouve les instructions qu’il avait reçues de son officier supérieur :

« M. de Contrecœur, le 28 Juin, envoya M. de Villiers, frère de Jumonville, avec six cents Canadiens et cent sauvages, venger la mort de son frère, etc.

« Lui ordonnons (au sieur de Villiers) de les attaquer et de les détruire même en entier, s’il se peut, pour les châtier de l’assassin (sic) qu’ils nous ont fait en violant les lois les plus sacrées des nations policées.

« Malgré leur action inouïe, recommandons au sieur de Villiers d’éviter toute cruauté, autant qu’il sera en son pouvoir.

« Il ne leur laissera pas ignorer (aux Anglais) que nos sauvages, indignés de leur action, ont déclaré ne vouloir rendre les prisonniers qui, sont entre leurs mains, etc.

« Fait au camp du fort Duquesne, le 28 Juin, 1754.

(Signé) Contrecœur. »

Il faut avouer que mon grand-oncle de Villiers avait à-peu-près cartes blanches ; et que sans son âme magnanime, Washington n’aurait jamais doté ses concitoyens d’un grand et indépendant empire ; et qu’il n’occuperait aujourd’hui qu’une bien petite place dans l’histoire.

  1. Mon grand-oncle, Coulon de Villiers, mourut de la picote à l’âge de soixante et quelques années, en répétant sans cesse ces paroles : « Moi, mourir dans un lit comme une femme ! Quelle triste destinée pour un homme qui a affronté tant de fois la mort sur les champs de bataille ! J’espérais pourtant verser la dernière goutte de mon sang pour ma patrie ! »