Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
NOTES DU CHAPITRE PREMIER.

d’impressionner vivement un enfant de mon âge ; aussi ai-je beaucoup réfléchi sur le sort de cet homme qu’une partie de la population considérait comme ayant été sacrifié à la politique du jour. J’ai fait bien des recherches pour m’assurer de son plus ou moins de culpabilité. Je pourrais dire beaucoup de choses sur ce sujet ; mais je me tairai. Qu’il me suffise d’ajouter que si, maintenant, un Yankee vantard proclamait à tout venant, qu’avec cinq cents hommes de bonne volonté, armés de bâtons durcis au feu, il se ferait fort de prendre la ville de Québec, les jeunes gens s’empresseraient autour de lui to humour him, pour l’encourager à parler, lui feraient boire du champagne, et en riraient aux éclats sans que le gouvernement songeât à l’éventrer.

On a prétendu que McLane était un émissaire du gouvernement français : je n’en crois rien pour ma part : la république française, aux prises avec toutes les puissances de l’Europe, avait alors trop de besogne sur les bras pour s’occuper d’une petite colonie contenant quelques millions d’arpents de neige ; suivant une expression peu flatteuse pour nous.

La politique de nos autorités à cette époque était soupçonneuse et partant cruelle. On croyait voir partout des émissaires du gouvernement français. Deux Canadiens furent alors expulsés du pays : leur crime était d’avoir été à la Martinique, je crois, dans un navire américain, pour terminer quelques affaires de commerce : on leur fit la grâce d’emmener avec eux leurs femmes et leurs enfants.

Je fis la rencontre dans un hôtel d’Albany, en l’année 1818, d’un vieillard qui vint passer la soirée dans un salon où nous étions réunis. Il avait bien, certainement, la tournure d’un Yankee, mais, quoiqu’il parlât leur langue avec facilité, je m’aperçus aussitôt qu’il avait l’accent français : et comme un Français s’empresse toujours de répondre à une demande polie (soit dit sans offenser d’autres nations moins civilisées) j’abordai franchement la question : et je lui demandai s’il était Français.

— Certainement, me dit-il ; et je suppose que vous êtes un compatriote ?

— Mais quelque chose en approchant, répliquai-je ; je suis d’origine française et citoyen de la ville de Québec.

— Ah ! la cité de Québec ! fit-il, me rappelle de bien douloureux souvenirs ! j’ai été incarcéré pendant l’espace de deux ans dans l’enceinte de ses murs, et je veux être pendu comme un chien si je sais, même aujourd’hui, quel crime j’avais commis. C’était, il est vrai, au début de la révolution française, la république était en guerre avec l’Angleterre ; mais étant sujet américain naturalisé depuis longtemps, je crus pouvoir sans crainte visiter le Canada avec mes marchandises. On m’empoigna néanmoins aussitôt que j’eus franchi la frontière, et je fus enfermé dans le couvent des Récollets à Québec, dont une partie servait alors de prison d’état.

— Vous étiez, lui dis-je, en bonne voie de faire pénitence dans ce saint asile.

— Oh oui ! répliqua-t-il, j’en fis une rude pénitence. Je fus longtemps au secret, ne pouvant communiquer avec personne, et j’aurais encore