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LES ANCIENS CANADIENS.

comme l’Atlas de la fable portant le monde matériel sur ses robustes épaules, porte, elle aussi, sans ployer sous le fardeau, toutes les douleurs de l’humanité souffrante ! Il n’est point surprenant que Jules, qui ne connaissait que les qualités matérielles de la femme, crût triompher aisément des scrupules de sa sœur.

— Allons, Blanche, dit Jules à sa sœur après dîner, le lendemain de l’entretien qu’il avait eu avec son ami ; allons, Blanche, voici notre Nemrod Écossais qui part, son fusil sur l’épaule, pour nous faire manger des sarcelles à souper ; voyons si nous gravirons l’étroit sentier qui conduit au sommet du cap, aussi promptement que dans notre enfance.

— De tout mon cœur, cher Jules ; cours en avant, et tu verras que mes jambes canadiennes n’ont rien perdu de leur agilité.

Le frère et la sœur, tout en s’aidant des pierres saillantes, des arbrisseaux qui poussaient dans les fentes du rocher, eurent bien vite monté le sentier ardu qui conduit au haut du cap ; et là, après un moment de silence, employé à contempler le magnifique panorama qui se déroulait devant leurs yeux, Jules dit à sa sœur.

— Ce n’est pas sans dessein que je t’ai conduite ici : je désire t’entretenir privément sur un sujet de la plus grande importance. Tu aimes notre ami Arché ; tu l’aimes depuis longtemps ; et cependant pour des raisons que je ne puis comprendre, par suite de sentiments trop exaltés qui faussent ton jugement, tu t’imposes des sacrifices qui ne sont pas dans la nature, et tu te prépares un avenir malheureux, victime d’un amour que tu ne pourras jamais extirper de ton cœur. Quant à moi, si j’aimais une Anglaise