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LE FOYER DOMESTIQUE.

vous avez été vous-mêmes témoins oculaires, je pourrais en citer encore un grand nombre d’autres.

Je commandais, il y a environ quinze ans, une expédition contre les Iroquois, composée de Canadiens et de sauvages hurons. Nous étions en marche, lorsque je ressentis tout à coup une douleur à la cuisse, comme si un corps dur m’eût frappé : la douleur fut assez vive pour m’arrêter un instant. J’en fis part à mes guerriers indiens ; ils se regardèrent d’un air inquiet, consultèrent l’horizon, respirèrent l’air à pleine poitrine, en se retournant de tous côtés, comme des chiens de chasse en quête de gibier. Et satisfait qu’il n’y avait pas d’ennemis près de nous, ils se remirent en marche. Je demandai au Petit-Étienne, chef des Hurons, qui paraissait inquiet, s’il craignait quelque surprise.

— Pas que je sache, fit-il, mais à notre première rencontre avec l’ennemi, tu seras blessé à la même place où tu as ressenti la douleur.

Je ne fis qu’en rire ; ce qui n’empêcha pas que, deux heures après, une balle iroquoise me traversa la cuisse au même endroit, sans, heureusement, fracturer l’os (b). Non, messieurs, les présages ne m’ont jamais trompé.

— Qu’en pensez-vous, monsieur le chevalier ? dit le curé.

— Je suis d’opinion, fit mon oncle Raoul, que voici le vin du dessert sur la table, et qu’il est urgent de l’attaquer (c).

— Excellente décision ! s’écria-t-on de toutes parts.

— Le vin est le plus infaillible des présages, dit Jules, car il annonce la joie, la franche gaieté, le bonheur enfin ; et pour preuve de son infaillibilité,