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LES ANCIENS CANADIENS.

Jamais la noble fille canadienne n’avait paru si belle aux yeux d’Arché qu’au moment où elle rejetait, avec un superbe dédain, l’alliance des conquérants de sa malheureuse patrie.

— Calmez-vous, Blanche, reprit de Locheill : j’admire votre patriotisme ; j’apprécie vos sentiments exaltés de délicatesse, quoique bien injustes envers moi, envers moi votre ami d’enfance. Il vous est impossible de croire qu’un Cameron of Locheill pût offenser une noble demoiselle quelconque, encore moins la sœur de Jules d’Haberville, la fille de son bienfaiteur. Vous savez, Blanche, que je n’agis jamais sans réflexion : toute votre famille m’appelait jadis le grave philosophe et m’accordait un jugement sain. Que vous eussiez rejeté avec indignation la main d’un Anglo-Saxon, aussi peu de temps après la conquête, aurait peut-être été naturel à une d’Haberville ; mais moi, Blanche, vous savez que je vous aime depuis longtemps, vous ne pouvez l’ignorer malgré mon silence. Le jeune homme pauvre et proscrit aurait cru manquer à tous sentiments honorables en déclarant son amour à la fille de son riche bienfaiteur.

Est-ce parce que je suis riche maintenant, continua de Locheill, est-ce parce que le sort des armes nous a fait sortir victorieux de la lutte terrible que nous avons soutenue contre vos compatriotes ; est-ce parce que la fatalité m’a fait un instrument involontaire de destruction, que je dois refouler, à jamais, dans mon cœur un des plus nobles sentiments de la nature, et m’avouer vaincu sans même faire un effort pour obtenir celle que j’ai aimée constamment ? oh ! non, Blanche, vous ne le pensez pas : vous avez parlé sans réflexion ;