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LES ANCIENS CANADIENS.

Si M. d’Haberville s’était refusé à toute explication de la part de sa sœur, il n’en avait pas moins été impressionné par le récit que lui avait fait M. de Saint-Luc, du dévouement sublime de Locheill offrant de sacrifier fortune et avenir à un sentiment exalté de gratitude. De là l’accueil à demi cordial qu’il lui avait d’abord fait ; car il est à supposer que, sans cette impression favorable, il lui aurait tourné de dos (c).

Les mots réparation pécuniaire, firent d’abord frissonner M. d’Haberville, comme si un fer rouge eût effleuré sa peau ; mais en proie à d’autres réflexions, à d’autres combats, ce mouvement d’impatience ne fut que transitoire. Il se serra la poitrine à deux mains, comme s’il eût voulu extirper le reste de venin qui adhérait, malgré lui, à son cœur, tourna deux à trois fois sur lui-même, en sens inverse, fit signe à de Locheill de rester où il était, marcha d’abord très vite sur le sable du rivage, et puis à pas mesurés ; et revenant enfin vers de Locheill, il lui dit :

— J’ai fait tout ce que j’ai pu, Arché, pour dissiper tout reste de rancune ; mais vous me connaissez : c’est l’œuvre du temps, qui en effacera les dernières traces. Tout ce que je puis vous dire, c’est que mon cœur vous pardonne. Ma sœur, la supérieure, m’a tout raconté : je me suis décidé à l’entendre après votre intercession pour moi auprès du gouverneur, dont m’a fait part mon ami de Saint-Luc. J’ai pensé que celui qui était prêt à sacrifier rang et fortune pour ses amis ne pouvait avoir agi que par contrainte, dans des circonstances auxquelles je fais allusion pour la dernière fois. Si vous remarquez de temps à autre quelque froideur dans mes rapports