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LES ANCIENS CANADIENS.

dans deux ans (f). Maintenant, un verre d’eau-de-vie et un peu de soupe : j’ai tant souffert de la faim que mon estomac refuse toute nourriture solide. Laissez-moi aussi prendre un peu de repos, avant de faire le récit d’un sinistre, qui vous fera verser bien des larmes.

À l’expiration d’une demi-heure à peu près, car il fallait peu de temps à cet homme aux muscles d’acier pour recruter ses forces, Monsieur de Saint-Luc commença le récit.

— Malgré l’impatience du gouverneur britannique d’éloigner de la Nouvelle-France ceux qui l’avaient si vaillamment défendue, les autorités n’avaient mis à notre disposition, que deux vaisseaux qui se trouvèrent insuffisants pour transporter un si grand nombre de Français et de Canadiens, qu’on forçait de s’embarquer pour l’Europe. J’en fis la remarque au général Murray ; et lui proposai d’en acheter un à mon propre compte. Il s’y refusa, mais deux jours après, il mit à notre disposition le navire l’Auguste, équipé à la hâte pour cet objet. Moyennant une somme de cinq cents piastres d’Espagne, j’obtins aussi du capitaine anglais l’usage exclusif de sa chambre pour moi et ma famille.

Je fis ensuite observer au général Murray le danger où nous serions exposés dans la saison des tempêtes avec un capitaine, qui ne connaissait pas le fleuve Saint-Laurent, m’offrant d’engager à mes frais et dépens un pilote de rivière. Sa réponse fut que nous ne serions pas plus exposés que les autres. Il finit cependant par expédier un petit bâtiment, avec ordre de nous escorter jusqu’au dernier mouillage.

Nous étions tous tristes et abattus ; et ce fut en