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LE NAUFRAGE DE “L’AUGUSTE.”

CHAPITRE QUINZIÈME.

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le naufrage de « l’auguste. »


Les prédictions de la sorcière du domaine étaient accomplies. L’opulente famille d’Haberville avait été trop heureuse, après la capitulation de Québec, d’accepter l’hospitalité que monsieur d’Egmont lui avait offerte dans sa chaumière, que sa réclusion avait sauvée de l’incendie. Le bon gentilhomme et mon oncle Raoul, aidés du fidèle Francœur, s’étaient mis de suite à l’œuvre : on avait converti en mansardes l’étroit grenier, pour abandonner le rez-de-chaussée aux femmes. Les hommes, afin de relever le courage de ces malheureuses dames, affectaient une gaieté qui était bien loin de leur cœur ; et leurs chants se faisaient souvent entendre, mêlés aux coups secs de la hache, aux grincements de la scie et aux sifflements aigres de la varlope. On réussit à force de travail et de persévérance, non seulement à se mettre à l’abri des rigueurs de la saison, mais aussi à se loger passablement ; et n’eût été l’inquiétude que l’on éprouvait pour le capitaine d’Haberville et son fils, exposés aux sorts des combats, on aurait passé l’hiver assez agréablement dans cette solitude.

Le plus difficile était de se nourrir, car la disette des vivres était affreuse dans les campagnes ; la plupart