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LES ANCIENS CANADIENS.

terreur cria à Francœur en écumant de rage : — Quoi ! sergent, nous des hommes, nous souffrirons qu’on brûle une pauvre créature devant nos yeux sans la défendre ! nous des Français ! Donnez l’ordre, sergent, et j’en échine pour ma part dix de ces chiens de Canaouas avant qu’ils aient même le temps de se mettre en défense. Et il l’aurait fait comme il le disait, car c’était un maître homme que Laterreur, et vif comme un poisson. L’Ours-Noir, un de leurs guerriers les plus redoutables, se retourna de notre côté en ricanant. Ducros s’élança sur lui le casse-tête levé en lui criant : — prends ta hache, L’Ours-Noir, et tu verras, lâche, que tu n’auras pas affaire à une faible femme ! L’Indien haussa les épaules d’un air de pitié et se contenta de dire lentement : — le visage pâle est bête : il tuerait son ami pour défendre la squaw du chien d’Anglais son ennemi. Le sergent mit fin à cette altercation en ordonnant à Ducros de rejoindre notre petit groupe. C’était un brave et franc cœur que ce sergent comme son nom l’attestait. Il nous dit, les larmes aux yeux : — il me serait inutile d’enfreindre mes ordres ; nous ne pourrions sauver cette pauvre femme en nous faisant tous massacrer. Quelle en serait ensuite la conséquence ? la puissante tribu des Abénaquis se détacherait de l’alliance des Français, deviendrait notre ennemie, et combien alors de nos femmes et de nos enfants subiraient le sort de cette malheureuse Anglaise ! Et je serai responsable de tout le sang qui serait répandu.

Eh bien ! monsieur Arché, six mois même après cette scène horrible, je me réveillais en sursaut, tout trempé de sueur : il me semblait la voir, cette pauvre victime, au milieu de ces bêtes féroces ; il me sem-