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LE BON GENTILHOMME.

que je prévoyais devoir être d’un grand rapport par la suite ; leur promettant d’employer toutes mes forces morales et physiques pour l’exploiter à leur profit. On me rit au nez, comme de raison, car il y avait castor à prendre là. Eh bien ! Jules, cette même propriété dont la vente couvrit à peine alors les frais de la procédure, se vendit au bout de dix ans un prix énorme qui aurait soldé toutes mes dettes et au delà, car on s’était plu comme de droit à en exagérer le montant dans les journaux et partout ; mais j’étais si affaissé, si abattu sous le poids de ma disgrâce, que je n’eus pas même le courage de réclamer contre cette injustice. Lorsque, plus calme, j’établis un état exact de mes dettes, je n’étais passif que d’un peu plus du tiers de l’état fabuleux qu’on avait publié.

L’Europe était trop peuplée pour moi : je m’embarquai pour la Nouvelle-France avec mon fidèle André, et je choisis ce lieu solitaire où je vivrais heureux si je pouvais boire l’eau du Léthé. Les anciens, nos maîtres en fait d’imagination, avaient sans doute créé ce fleuve pour l’humanité souffrante. Imbu pendant longtemps des erreurs du seizième siècle, je m’écriais autrefois dans mon orgueil : « ô hommes ! si j’ai eu ma part de vos vices, j’en ai rarement rencontré un parmi vous qui possédât une seule de mes vertus. La religion, cette mère bienfaisante, a depuis réprimé ces mouvements d’orgueil, et m’a fait rentrer en moi-même. Je me suis courbé sous la main de Dieu, convaincu qu’en suivant les penchants de ma nature, je n’avais aucun mérite réel à réclamer.

Tu es le seul, mon fils, auquel j’ai communiqué l’histoire de ma vie, tout en supprimant bien des