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LES ANCIENS CANADIENS.

dernières secousses des vagues après la tempête ; car, à part les innombrables tracasseries et humiliations de la captivité, à part ce que je ressentais de douleur pour ma famille désolée, j’étais certainement moins malheureux : je croyais avoir absorbé la dernière goutte de fiel de ce vase de douleur que la malice des hommes tient sans cesse en réserve pour les lèvres fiévreuses de ses frères. Je comptais sans la main de Dieu appesantie sur l’insensé, architecte de son propre malheur ! Deux de mes enfants tombèrent si dangereusement malades, à deux époques différentes, que les médecins, désespérant de leur vie, m’annonçaient chaque jour leur fin prochaine. C’est alors, ô mon fils ! que je ressentis toute la lourdeur de mes chaînes. C’est alors que je pus m’écrier comme la mère du Christ : « approchez et voyez s’il est douleur comparable à la mienne ! » Je savais mes enfants moribonds, et je n’en étais séparé que par la largeur d’une rue. Je voyais, pendant de longues nuits sans sommeil, le mouvement qui se faisait auprès de leur couche, les lumières errer d’une chambre à l’autre ; je tremblais à chaque instant de voir disparaître des signes de vitalité, qui m’annonçaient que mes enfants requéraient encore les soins de l’amour maternel. J’ai honte de l’avouer, mon fils, mais j’étais souvent en proie à un tel désespoir que je fus cent fois tenté de me briser la tête contre les barreaux de ma chambre. Savoir mes enfants sur leur lit de mort, et ne pouvoir voler à leur secours, les bénir et les presser dans mes bras pour la dernière fois !

Et cependant mon persécuteur connaissait tout ce qui se passait dans ma famille, il le savait comme