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LES ANCIENS CANADIENS.

canaux souterrains, communiquant avec les rivières, et les lacs les plus riches en castors ; et qu’on y enfermaient les sauvages pour leur faciliter la chasse de ces précieux amphibies, afin de s’acquitter plus vite envers leurs créanciers. Ces murs, ces grillages en fer lui avaient semblé autant de barrières que nécessitait la prudence pour garder ces trésors.

Tu comprends, Jules, que je ne vais te parler, maintenant, que dans l’intérêt du créancier qui inspire seul la sympathie, la pitié, et non dans celui du débiteur, qui, après avoir erré tout le jour, l’image de la défiance craintive sans cesse devant les yeux, mord la nuit son oreiller de désespoir après l’avoir arrosé de ses larmes.

J’étais jeune, trente-trois ans, âge où commence à peine la vie ; j’avais des talents, de l’énergie, et une foi robuste en moi-même. Prenez, dis-je à mes créanciers, tout ce que je possède, mais renoncez à votre droit de contrainte par corps : laissez-moi toute liberté d’action, et j’emploierai toute mon énergie à vous satisfaire. Si vous paralysez mes forces, c’est vous faire tort à vous-mêmes. Ce raisonnement si simple pourtant, était au-dessus de l’intelligence de l’homme civilisé : mon Iroquois, lui, l’eût compris ; il aurait dit : « mon frère pas capable de prendre castors, si le visage pâle lui ôte l’esprit, et lui lie les mains. » Eh bien ! mon ami, mes créanciers n’ont tenu aucun compte de ce raisonnement si aisé cependant à comprendre ; et ont tenu cette épée de Damoclès suspendue sur ma tête pendant trente ans, terme que leur accordaient les lois du pays.

— Mais, c’était adorable de bêtise ! s’écria Jules.

— Un d’eux cependant, continua le bon gentilhomme en souriant tristement de la saillie de Jules,