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LES ANCIENS CANADIENS.

d’ajouter que, tombé entre les griffes de créanciers impitoyables, je dus boire la coupe d’amertume jusqu’à la lie. À part l’ingratitude de mes amis, j’étais homme à souffrir peu pour moi individuellement. Ma gaieté naturelle ne m’aurait pas même abandonné entre les murs de la Bastille : j’aurais pu danser à la musique discordante que produit le grincement des verrous. Mais, ma famille ! ma famille ! mais les remords cuisants qui poursuivent le jour, qui causent les longues insomnies, qui ne vous laissent ni trêve, ni repos, qui font vibrer les nerfs de la sensibilité comme si de fortes tenailles les mettaient sans cesse en jeu avec leurs dents métalliques !

Je suis d’opinion, mon fils, qu’à de rares exceptions, tout homme, qui en a les moyens, paie ses dettes : les tourments qu’il endure à la vue de son créancier sont plus que suffisants pour l’y contraindre, sans la rigueur des lois qui ne sont souvent faites que pour les riches au détriment des pauvres. Parcours tous les codes de lois anciens et modernes, et tu seras frappé du même égoïsme barbare qui les a dictés. Peut-on imaginer, en effet, un supplice plus humiliant, plus cruel que celui d’un débiteur en face de son créancier, un fesse-mathieu, le plus souvent, auquel il se voit obligé de faire la courbette ? Peut-on imaginer humiliation plus grande que de louvoyer sans cesse pour éviter la rencontre d’un créancier ?

Une chose m’a toujours frappé : c’est que la civilisation fausse le jugement des hommes ; et qu’en fait de sens commun, de gros bon sens que l’on doit s’attendre à rencontrer dans la cervelle de tout être civilisé, (j’en excepte pourtant les animaux domestiques qui reçoivent leur éducation dans nos familles), le