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LA FÊTE DU MAL

mité de se rendre à discrétion, mais, comme la garnison dans la personne d’Arché était plus forte que les assiégeants dans celle de Jules, de Locheill le secoua fortement en lui demandant avec humeur si c’était la nuit que l’on ne dormait point au manoir d’Haberville. Il allait même finir par l’expulser hors des remparts, lorsque Jules, qui, tout en se débattant entre les bras puissants de son adversaire, n’en riait pas moins aux éclats, le pria de vouloir bien l’écouter un peu, avant de lui infliger une punition si humiliante pour un soldat futur de l’armée française.

— Qu’as-tu donc à dire pour ta justification, gamin incorrigible, dit Arché maintenant complètement réveillé ; n’est-ce pas suffisant de me faire endiabler pendant le jour, sans venir me tourmenter la nuit ?

— Je suis fâché, vraiment, dit Jules, d’avoir interrompu ton sommeil, mais comme nos gens ont un autre mai à planter à un calvaire, chez Bélanger de la croix, à une bonne demi-lieue d’ici, il est entendu que celui de mon père lui sera présenté à six heures du matin ; et, si tu ne veux rien perdre de cette intéressante cérémonie, il est temps de t’habiller[1]. Je t’avoue que je crois tout le monde comme moi, aimant tout ce qui rapproche de nos bons habitants : je ne connais rien de plus touchant que cette fraternité qui existe entre mon père et ses censitaires, entre notre famille et ces braves gens. D’ailleurs, comme frère d’adoption, tu auras ton rôle à jouer pendant un spectacle que tu n’as pas encore vu.

Dès que les jeunes gens eurent fait leur toilette, ils

  1. Bélanger de la croix, ainsi nommé à l’occasion d’un calvaire situé devant sa porte. Ces sortes de surnoms sont encore très communs dans nos campagnes, et sont donnés le plus souvent pour distinguer un membre d’une famille des autres membres du même nom.