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LES ANCIENS CANADIENS.

— Allons, va-t’en à tous les diables ! répond mon oncle Raoul, et dis à Lisette qu’elle te donne un bon coup d’eau-de-vie pour te consoler de la perte de ta pouliche. Ces coquins ! ajoute mon oncle Raoul, boivent plus de notre eau-de-vie qu’ils ne paient de rentes.

L’habitant, en entrant dans la cuisine, dit à Lisette en ricanant :

— J’ai eu une rude corvée avec mon oncle Raoul ; il m’a même menacé de me faire donner des coups royaux par la justice.

Comme mon oncle Raoul était très dévot à sa manière, il ne manquait jamais de réciter son chapelet et de lire dans son livre d’heures journellement ; mais aussi, par un contraste assez singulier, il employait ses loisirs à jurer, avec une verve peu édifiante, contre messieurs les Anglais, qui lui avaient cassé une jambe à la prise de Louisbourg : tant cet accident, qui l’avait obligé à renoncer à la carrière des armes, lui était sensible.

Lorsque les jeunes gens arrivèrent en face du manoir, ils furent surpris du spectacle qu’il offrait. Non seulement toutes les chambres étaient éclairées, mais aussi une partie des autres bâtisses. C’était un mouvement inusité, un va-et-vient extraordinaire. Et comme toute la cour se trouvait aussi éclairée par ce surcroît de lumières, ils distinguèrent facilement six hommes, armés de haches et de fusils, assis sur un arbre renversé.

— Je vois, dit Arché, que le seigneur de céans a mis ses gardes sous les armes, pour faire honneur à notre équipage, comme je l’avais prédit.

José, qui n’entendait pas le badinage sur ce sujet, passa sa pipe du côté droit au côté gauche de sa